En 2004, Michael Moore soulevait la Palme d’or au Grand Théâtre Lumière, suite à la projection à Cannes de Fahrenheit 9/11, documentaire coup de poing et véritable réquisitoire contre le Président des États-Unis de l’époque, Georges Bush. Ce film devenait alors le second doc à décrocher la récompense suprême, depuis Le Monde du Silence de Jacques Cousteau en 1956. Le genre documentaire s’invite en force dans la Sélection officielle de 2023.
Le documentaire en Compétition
Avec Jeunesse (Le printemps), le documentaire fait son retour en Compétition : de 2014 à 2019, Wang Bing a planté sa caméra dans le delta du fleuve bleu, au plus près de la Chine ouvrière. Des petits ateliers de confection aux dortoirs où l’on s’entasse, le cinéaste chinois a fait le choix, comme à son habitude, de « filmer des individus, et non le collectif ». « Mon intérêt c’est l’individu » a-t-il déclaré en conférence de presse, expliquant avoir voulu montrer la réalité de la population chinoise paysanne : « Les paysans quittent leurs villages natals pour travailler dans les régions économiquement plus développées et donc, entre autres, vers le Delta du Yang-Tseu-Kiang ».
Entre documentaire et fiction, Kaouther Ben Hania concourt, aussi, pour la Palme d’or, avec Les filles d’Olfa, enquête haletante construite selon un dispositif inédit et sur la base d’un fait réel. La réalisatrice et scénariste tunisienne s’est révélée captivée par la manière de parler d’Olfa en découvrant, par hasard à la radio, le trajet de vie de la mère de famille. Son phrasé imagé la fascine alors : « Avec ce spectre si riche en émotions, je me suis tout de suite dit qu’Olfa était un personnage de film ».
Cinq documentaires en Séances Spéciales
D’un genre à l’autre, certains réalisateurs refusent de se complaire dans un type de format. C’est le cas du Brésilien Kleber Mendonça Filho, qui passe du thriller avec Bacurau, Prix du jury en 2019, au documentaire avec Retratos fantasmas : « Je ne crois pas que les idées de films nous apparaissent d’une manière totalement linéaire et organisée, même si l’industrie tente de formater la créativité ». En puisant dans sa médiathèque personnelle (cassettes, VHS, Betacam, Super8, MiniDVD), le réalisateur retrace, avec ce film d’archives, l’histoire des salles de cinéma de sa ville natale, Recife.
Des réalisatrices au courage exceptionnel s’emparent de la vitrine du Festival de Cannes pour dénoncer la réalité de la condition féminine dans leur pays. Avec Bread and Roses, Sahra Mani prend tous les risques au nom des droits de la femme en Afghanistan. Dans le Kaboul des Talibans, sa caméra suit trois femmes modernes, privées d’études et de travail : « Nous ne cessons de dire que faire la paix avec les Talibans, c’est condamner les femmes afghanes ».
Entre documentaire et fiction, Mona Achache rejoue, avec Little Girl Blue, le passé de sa mère décédée en 2016, et fait revivre sa personnalité dans un exercice périlleux de résurrection. Marion Cotillard, en incarnant sa mère à l’écran, a réalisé, aux yeux de la réalisatrice, « le fantasme un peu triste de la faire revivre pour qu’elle lui explique les raisons de son suicide ». Comme pour libérer cette lignée de femmes qui semble maudite.
Deux des prestigieux artistes dont les films sont en Compétition, se trouvent aussi en Séance Spéciale et passent ainsi, en un changement de sélection, de la fiction au documentaire. Avec Anselm, Wim Wenders rend hommage à l’artiste plasticien contemporain allemand Anselm Kiefer, dont la force du travail le fascine depuis toujours. Et, dans la même veine de mise en lumière d’un autre artiste, Wang Bing sublime, dans un essai de 60 minutes ancré aux Bouffes du Nord (Man in Black), la performance du compositeur chinois dissident, Wang Xilin.
Essais artistiques
Avec La mère de tous les mensonges présenté Au Certain Regard, la Marocaine Asmae el Moudir explore la mémoire de son quartier et de son pays, dans un élan artistique saisissant.
Cannes Classics compte habituellement sa section de films documentaires en hommage aux grands noms du cinéma. Dix y sont présentés cette année, parmi lesquels il faut souligner l’entreprise de Lubna Playoust qui signe, avec Chambre 999, la continuité de Chambre 666 de Wim Wenders, 40 ans après la réalisation de cette proposition artistique réunissant seize réalisateurs. Le cinéaste allemand leur posait une question, ancrée dans la réalité de l’époque. Lubna Playoust, elle, demande à trente réalisateurs de renom : « Le cinéma est-il un langage en train de se perdre ? ».